C'était en 2013
Mais pour la Sagesse le temps n'existe pas ...
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On y parle de vieillir.
Je ne vous dis pas tout de suite qui
l'a écrit, vous l'apprendrez par vous-même
un peu plus loin.
Vieillir, c'est chiant...
J'aurais pu dire : vieillir, c'est
désolant, c'est insupportable, c'est
douloureux, c'est horrible, c'est
déprimant, c'est mortel.
Mais j'ai préféré « chiant » parce que
c'est un adjectif vigoureux qui ne fait
pas triste.
Vieillir, c'est chiant parce qu'on ne sait
pas quand ça a commencé et l'on sait
encore moins quand ça finira.
Non, ce n'est pas vrai qu'on vieillit dès
notre naissance. On a été longtemps si
frais, si jeune, si appétissant. On était
bien dans sa peau. On se sentait
conquérant. Invulnérable. La vie devant
soi. Même à cinquante ans, c'était encore
très bien. Même à soixante. Si, si, je
vous assure, j'étais encore plein de
muscles, de projets, de désirs, de flamme.
Je le suis toujours, mais voilà,
entre-temps - mais quand - j'ai vu le
regard des jeunes, des hommes et des
femmes dans la force de l'âge qu'ils ne me
considéraient plus comme un des leurs,
même apparenté, même à la marge.
J'ai lu dans leurs yeux qu'ils n'auraient plus
jamais d'indulgence à mon égard. Qu'ils
seraient polis, déférents, louangeurs,
mais impitoyables.
Sans m'en rendre compte,
j'étais entré dans l'apartheid de
l'âge.
Le plus terrible est venu des dédicaces
des écrivains, surtout des débutants.
"Avec respect", "En hommage respectueux",
"Avec mes sentiments très respectueux".
Les salauds ! Ils croyaient probablement
me faire plaisir en décapuchonnant leur
stylo plein de respect ? Et du "cher
Monsieur Pivot" long et solennel comme une
citation à l'ordre des Arts et Lettres qui
vous fiche dix ans de plus !
Un jour, dans le métro, c'était la
première fois, une jeune fille s'est levée
pour me donner sa place. J'ai failli la
gifler. Puis la priant de se rasseoir, je
lui ai demandé si je faisais vraiment
vieux, si je lui étais apparu fatigué.
- "non, non, pas du tout, a-t-elle
répondu, embarrassée. J'ai pensée que..."
- Moi aussitôt : "Vous pensiez que ?
- "Je pensais, je ne sais pas, je ne sais
plus, que ça vous ferait plaisir de vous
asseoir.
- "Parce que j'ai les cheveux blancs ?"
- "Non, ce n'est pas ça, je vous ai vu
debout et comme vous êtes plus âgé que
moi, ça a été un réflexe, je me suis
levée..."
- "Je parais beaucoup plus âgé que vous ?
- "Non, oui, enfin un peu, mais ce n'est
pas une question d'âge !"
- "Une question de quoi alors ?"
- "Je ne sais pas, une question de
politesse, enfin je crois..."
J'ai arrêté de la taquiner, je l'ai
remerciée de son geste généreux et l'ai
accompagnée à la station où elle
descendait pour lui offrir un verre.
Lutter contre le vieillissement c'est,
dans la mesure du possible, ne renoncer à
rien.
Ni au travail, ni aux voyages, ni
aux spectacles, ni aux livres, ni à la
gourmandise, ni à l'amour, ni à la
sexualité, ni aux rêves.
Rêver, c'est se
souvenir tant qu'à faire, des heures
exquises. C'est penser aux jolis
rendez-vous qui nous attendent. C'est
laisser son esprit vagabonder entre le
désir et l'utopie.
La musique est un puissant excitant du
rêve. La musique est une drogue douce.
J'aimerais mourir, rêveur, dans un
fauteuil en écoutant soit l'adagio du
Concerto no 23 en la majeur de Mozart,
soit, du même, l'andante de son Concerto
no 21 en ut majeur, musiques au bout
desquelles se révéleront à mes yeux pas
même étonnés les paysages sublimes de
l'au-delà.
Mais Mozart et moi ne sommes pas pressés.
Nous allons prendre notre temps.
Avec l'âge le temps passe, soit trop vite,
soit trop lentement.
Nous ignorons à combien se monte encore notre capital.
En années ? En mois ? En jours ?
Non, il ne faut pas considérer le temps qui nous
reste comme un capital. Mais comme un
usufruit dont, tant que nous en sommes
capables, il faut jouir sans modération.
Après nous, le déluge ? ... Non, Mozart.
Vous êtes jeune ? Profitez de la vie !
Vous êtes un peu moins jeune ?
Soyez heureux et profitez-en aussi...
Vous êtes beaucoup moins jeune ?
Prenez votre temps et chaque jour qui
vient, vivez-le pleinement.
Bien amicalement.
Hervé
©2011 Bernard Pivot