Espagne
1515-1582
Religieuse carmélite, Thérèse d’Avila (Thérèse de Jésus en religion) est la figure spirituelle espagnole la plus célèbre du XVIe siècle. Favorisée de dons mystiques extrêmement diversifiés, elle mène une vie chrétienne en tous points exemplaire. Elle entreprend la réforme de son Ordre à l’échelle de l’Espagne entière avec une réussite époustouflante et inexplicable sur le plan humain, et une œuvre intellectuelle de tout premier plan, dans laquelle elle analyse avec une précision psychologique encore jamais atteinte ses propres expériences mystiques. C’est en grande partie grâce à elle que la spiritualité moderne a pu éclore. La papauté l’a élevée pour cela au rang de Docteur de l’Église.
Les raisons d'y croire :
- Thérèse ne fait jamais état de ses états mystiques, hormis à ses confesseurs et à la mère supérieure. Pourtant, sa vie mystique est d’une densité extraordinaire (extases, ravissements, visions…). En particulier, Jésus la visite et lui parle.
- On ne peut soutenir rationnellement que Thérèse fût une déséquilibrée. Tout sa vie démontre le contraire : fondations d’une vingtaine de couvents, relations épistolaires avec l’élite politique, sociale et culturelle de son époque, gestion humaine et économique exceptionnelles de ses communautés, auteur d’une œuvre de psychologie religieuse remarquablement intelligente, etc.
- Ses visions ne pouvaient être non plus des symptômes hallucinatoires ou des indices neurologiques de l’épilepsie. D’une part, l’état d’une victime d’épilepsie est incompatible avec le rythme de travail, très soutenu et permanent pendant des décennies, que s’impose Thérèse. D’autre part, Thérèse conserve jusqu’à son dernier souffle ses facultés cognitives sans, bien sûr, recevoir le moindre secours des médecins qui n’auraient de toute manière pas eu les moyens de guérir lésion ou tumeur cérébrales.
- L’Inquisition de son temps la surveille, non pour des erreurs doctrinales dans ses écrits, mais à cause de la réalité des phénomènes surnaturels qui emplissent sa vie et au sujet desquels le clergé de l’époque est très méfiant.
- Loin d’être crédule au merveilleux, Thérèse analyse avec détachement ce qui lui arrive. Elle affirme la vérité de ces phénomènes mais les considère avec justesse comme marginaux dans le cadre de la vie mystique. Thérèse prouve ainsi qu’elle n’est pas avide de sensationnel, mais recherche la véritable union à Dieu. Les écrits de Thérèse d’Avila synthétisent et illustrent avec brio la théologie catholique en matière de discernement spirituel.
- Sapuissance de discernement éclaire aussi le domaine des rapports de l’homme avec le démon. Victime d’attaques dont on ne trouve pas d’origine naturelle, Thérèse réécrit, sans l’avoir étudiée factuellement, toute l’histoire des pièges tendus par le diable à l’encontre des moines et des moniales depuis saint Antoine d’Égypte (IVe siècle).
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Au printemps de 1560, elle vit la transverbération : son cœur est touché par une « pointe de feu » tenue par un « ange ». Loin d’être une hallucination, cette réalité a pu être attestée. Après sa mort, une autopsie succincte a permis la découverte d’une blessure des tissus du cœur quoi est ainsi décrite : « Les lèvres de la plaie sont dures et poêlées, tout comme c'est le cas lorsque le cautère est utilisé. » Une telle lésion ne saurait avoir une cause naturelle.
- Thérèse, encore jeune carmélite, tombe gravement malade un 15 août, jour de la fête de l’Assomption. C’est seulement quatre jours plus tard qu’elle sort de sa léthargie inexplicable, sauvée par saint Joseph, dont elle répand le culte depuis cette date.
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Plusieurs témoins fiables ont bel et bien témoigné, et sans hésitation, avoir vu le corps de la sainte, suspendu au-dessus du sol, sans aucun appui ni aide matérielle. Au sujet de ces lévitations, Thérèse témoigne : « je ne sentais plus pour ainsi dire mes pieds toucher le sol » (Vie écrite par elle-même, chapitre 20).
- Les réformes du Carmel espagnol par Thérèse s’échelonnent entre 1562 et 1582. Dans ce laps de temps, la Madre parcourt l’Espagne, non avec des moyens dignes de ce nom, mais dans une carriole, bravant de nombreux dangers (brigandage, éboulements, accidents météorologiques, etc.), surmontant on ne sait comment une santé instable et continuant à accompagner l’ensemble de ses communautés en parallèle.
- Neuf mois après sa mort le 4 octobre 1582, une première exhumation a lieu : les vêtements de la sainte sont dégradés mais le corps est découvert incorrompu. Sans explication, le processus naturel de dégradation des tissus n’a pas fait son œuvre.
Synthèse :
Tout est extraordinaire, et très souvent, inexplicable, chez sainte Thérèse d’Avila : la santé fragile dès l’adolescence qui, pourtant, ne l’empêcha pas de réaliser une œuvre matérielle et spirituelle de très grande envergure, les états mystiques et le don des miracles qu’elle restitue et explicite avec un sens psychologique remarquable et dans un langage parfaitement clair, son discernement spirituel sans faille, ses qualités humaines indéniables qui suscitèrent d’ailleurs sa renommée parmi ses contemporains... Tout cela fait d’elle, aux côtés de son ami saint Jean de la Croix, un modèle incontournable sur lequel s’appuie l’Église depuis près de quatre siècles et demi en ce qui concerne les étapes de la vie mystique.
Teresa de Cepeda y Ahumada est née à Avila (Espagne, Castille) le 28 mars 1515, dans une famille pieuse de douze enfants. Son père, Alonso de Cepeda, est d’une « piété austère » (Bernard Sesé), mais il s’opposera au projet de sa fille de prendre l’habit religieux. Beatriz de Ahumada, la mère, meurt prématurément, occasionnant une tristesse profonde chez la jeune Thérèse. Le grand-père paternel de Thérèse, un marchand de Tolède, était un juif converti à la foi chrétienne (converso).
La future sainte est élevée dans la foi catholique. Son éducation, parmi les siens et chez les religieuses Augustines de Santa Maria de Gracia, est d’un bon niveau. Parvenue à l’adolescence, Thérèse est instruite, vive d’esprit et curieuse de beaucoup de choses. Elle lit des romans de chevalerie et projette d’aller libérer les chrétiens prisonniers des Maures avec son frère Rodrigo, son aîné de quatre ans.
Le 2 novembre 1535, malgré l’absence de soutien paternel, elle entre au couvent des Carmélites d’Avila. Elle y fait profession deux ans plus tard, presque jour pour jour. Mais l’exemplarité de sa vie spirituelle va subir un rude choc. En 1538, une maladie la contraint à quitter le monastère. On a beaucoup discuté au sujet de cette pathologie. Quoi qu’il en soit, elle opère une coupure dans l’existence de la jeune femme qui consacre ses longues heures de repos à la lecture d’ouvrages religieux, comme le Troisième Abécédaire de François de Osuna, et d’autres titres remarquables qui vont l’orienter au fil du temps vers une vie intérieure d’une intensité spirituelle incroyable.
En attendant, elle souffre et ses forces déclinent à vue d’œil. Personne ne sait comment la guérir ou lui apporter un mieux. Dépressive, elle reste de longs moments inactive et comme absente. Un 15 août, on la croit morte : son corps est immobile, ses réactions inexistantes. Comme la coutume le veut, on lui recouvre les yeux avec de la cire. Elle reste quatre jours dans cet état. Puis elle s’éveille brusquement. Ses funérailles étaient prêtes.
Au Carmel d’Avila, la jeune Thérèse est une religieuse humble et obéissante. Elle ne fait jamais état de ses états mystiques, hormis à ses confesseurs et à la mère supérieure. Ses expériences extraordinaires ne perturbent nullement la vie communautaire. Elle est une sœur parmi d’autres sœurs, mais Jésus la visite et lui parle.
En 1555, une vision du Christ souffrant entraîne chez elle une prise de conscience du relâchement du genre de vie des Carmélites. C’est une conversion authentique car, à partir de ce moment, la sainte va travailler jusqu’à sa mort pour réformer son Ordre, alors que rien ne laissait prévoir une telle entreprise avant 1555. Le 24 août 1562, le Carmel de San José est le premier à revenir à l’observance de la Règle primitive. Plus de seize autres suivront jusqu’à sa disparition.
Devenue proche de saint Jean de la Croix, à qui elle donnera l’impulsion nécessaire pour se lancer à son tour dans la réforme de la branche masculine du Carmel, Thérèse consacre une bonne part de ses journées et de ses nuits à écrire une œuvre magistrale, dont quelques titres sont aujourd’hui encore considérés comme des chefs-d’œuvre : Le Livre des fondations, Le Chemin de perfection, Le Château intérieur, sans oublier une correspondance volumineuse… Thérèse théorise magnifiquement les visions mystiques, dont la répartition tripartite qu’elle retient remonte à saint Augustin : visions corporelles, imaginatives et intellectuelles.
Le 25 janvier 1560, elle a pour la première fois une vision du Christ ressuscité. En avril suivant, c’est la transverbération : un ange touche son codeur avec une pointe de feu, occasionnant une intense douleur physique épouvantable, mais aussi l’évidence et la force de l’amour de Dieu.
Le diable ne l’oublie pas. Elle subit à certains moments des attaques psychologiques, affectives mais aussi corporelles des anges déchus. Elle est régulièrement tourmentée de visions terrifiantes. Mais sa foi, dilatée par la prière, ne faiblit jamais.
Dieu la rappelle à lui en 1582. Le pape Paul V la béatifie en 1614. Elle est inscrite au catalogue des saints le 12 mars 1622 par Grégoire XV. Saint Paul VI la proclame Docteur de l’Église en 1970.
Patrick Sbalchiero, membre de l’Observatoire international des apparitions et des phénomènes mystiques.
Au-delà des raisons d'y croire :
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Sainte Thérèse d’Avila est copatronne de l’Espagne aux côtés de l’apôtre saint Jacques depuis 1627. Tous les papes, depuis Grégoire XV qui a canonisé Thérèse, ont voué une admiration sans bornes à la sainte d’Avila. C’est particulièrement le cas depuis le pontificat de saint Pie X (1903-1914, jusqu’au pape François, sans exception. « Véritable maîtresse de vie chrétienne pour les fidèles de chaque temps » pour Benoît XVI (2011), sa réputation n’a cessé de s’étendre et dépasse aujourd’hui les cadres confessionnels.
Aller plus loin :
Bernard Sesé, « Thérèse d’Avila (sainte), 1515-1582 », dans Patrick Sbalchiero (dir.), Dictionnaire des miracles et de l’extraordinaire chrétiens, Paris, Fayard, 2002, p. 804-806.
En savoir plus :
- Sainte Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, édition établie, révisée et annotée par les Carmélites de Clamart et Bernard Sesé, Paris, Le Cerf, 1995, 2 vol.
- Stéphane-Marie Morgain, Le Chemin de perfection de Thérèse de Jésus, Paris, Le Cerf, collection Classiques du Christianisme, 1997.
- Thérèse d’Avila, Le livre des miséricordes, Livre de la vie, présentation, introduction et notes par Stéphane-Marie Morgain, collection Sources du Carmel, Toulouse, Éditions du Carmel, 2023.
- Emmanuel Renault, Sainte Thérèse d’Avila et l’expérience mystique, Paris, Le Seuil, collection Points-Sagesse, 2007.
- Joseph Pérez, Thérèse d’Avila, Paris, Fayard, 2007.
- Vita Sackville-West, The Eagle and the Dove: St. Teresa of Avila and St. Therese of Lisieux, Quartet Books, 1973 (et réédition chez Macmillian Bello en 2012).