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2016-10-21T08:59:58+02:00

Lettre de Marina Tsvetaeva à un inconnu (poésie)

Publié par Rose du Sud
Marina Tsvetaeva (8 octobre 1892-31 août 1941) repose aujourd’hui aux côtés des figures majeures de la poésie du XXème. Cette « danseuse de l’âme », comme elle aimait se nommer, se donnera la mort après des années d’exil. Malgré tout, sa poésie fougueuse et libre ne fera que renaître de ses cendres jusqu’à devenir un véritable symbole. Elle livre ici un chant d’amour inégalable qui se déleste des mots, de leur sens même, pour ne garder que l’essence pure : la poésie.

Marina Tsvetaeva (8 octobre 1892-31 août 1941) repose aujourd’hui aux côtés des figures majeures de la poésie du XXème. Cette « danseuse de l’âme », comme elle aimait se nommer, se donnera la mort après des années d’exil. Malgré tout, sa poésie fougueuse et libre ne fera que renaître de ses cendres jusqu’à devenir un véritable symbole. Elle livre ici un chant d’amour inégalable qui se déleste des mots, de leur sens même, pour ne garder que l’essence pure : la poésie.

Le livre qui par votre main est entré dans ma vie n’est pas un hasard. Quand j’ai lu son nom sur la couverture, j’ai eu toute la peau de ma tête serrée comme par une griffe.

 

Vous ne savez pas — vous ne savez rien — à quel point tout est juste. Mais vous ne savez rien, vous n’êtes que très sensible (non — sentant, sentant non avec votre âme, mais comme un loup avec l’effilé du museau, ce n’est pas du cœur, c’est du flair) — par moments vous êtes infaillible.

Je ne vous exagère pas, tout ceci reste dans les limites de l’obscur (qui, lui, est sans limites : l’illimité même) — de fourrures et de fourrés (c’est toujours le même loup qui revient — remarquez-vous ?)

 

Je vous connais, je connais votre race, vous êtes plus en profondeur qu’en hauteur, ce sera toujours la descente en vous, jamais la montée, sans donner à ces mots d’autre sens que celui de la sensation de la direction.

Descente dans la nuit (que je vois comme un escalier — marche par marche — sans que jamais il y eût une dernière).

Descente dans la nuit même. C’est pour cela que je suis si bien avec vous sans lumière. (« Un village de quarante feux… » Avec vous je suis un village de pas un seul feu, peut-être une grande ville, peut-être rien — « jadis il y eut… ». Rien ne me prouvera puisque je m’éteins tout entière.) Sans lumière, à l’affût de nos voix. C’est pour cela qu’à toutes telles heures de votre vie vous serez avec moi, absent-présent.

 

Il est des êtres de passions, d’autres de sentiments, d’autres encore de sensations, vous êtes celui des effluves. Vous percevez l’univers avec votre peau : ceci n’est pas moins qu’avec l’âme. Par votre peau vous percevez les âmes aussi et c’est plus sûr. Car vous êtes maître — en votre matière. Il n’est pas besoin de vous toucher la main, il suffit de l’avoir — obscurément — désiré. Le flair des intentions. Le génie de l’intention. L’instantané de l’intention. L’instinct animal. (Si je savais que c’était si simple que ça !)

Pauvre moi qui, près de vous, me sens gourde et comme hermétiquement enrhumée (embrumée). (Ne me faites ni sourde ni muette, je ne le suis pas, quant à aveugle — souvenez-vous d’Homère.)

 

Je ne vous exagère pas dans ma vie, vous êtes léger même sur ma partiale, clémente, condescendante balance. Je ne sais même pas : êtes-vous dans ma vie ? Dans les espaces de mon âme — non. Mais là, aux abords de l’âme, dans ce certain entre : ciel et terre, âme et corps, chien et loup, dans l’avant-sommeil, dans l’après-rêve, là où « moi ne suis plus moi et mon chien n’est plus mien », là non seulement vous êtes, mais n’êtes que vous seul.

 

Vous me rappelez obscurément un mien ami d’il y a quelques ans, auteur de toute une race de mes vers, où personne ne me reconnaît, excepté toute sa race qui s’y reconnaît entière. Mais je ne veux pas vous parler de lui, je l’ai depuis longtemps et tombalement oublié, je veux me réjouir de vous et des forces obscures que vous tirez de moi comme un sourcier. Un sourcier n’est pas nécessairement conscient : ni de sa force ni de la valeur de la source. C’est un don comme un autre — donc le plus souvent octroyé à des ignorants et à des ingrats. Comme tous les dons, hors celui de l’âme, qui, elle, n’est que conscience et connaissance. (Pour rire un peu : si vous êtes sourcier, je suis, moi, le Sourcier de la légende allemande qui emmène avec sa flûte les souris et les enfants, et peut-être les sources aussi !)

 

Toutes ces dernières années, j’ai vécu si autrement, si durement, si glacialement que maintenant je ne fais que hausser les épaules et sourcils : ceci — moi ??

Vous m’amollissez (humanisez, féminisez, animalisez) comme la fourrure. Les autres femmes vous parleront de vos hautes qualités morales, d’autres encore de votre belle prestance. Ça se peut bien. Je n’y ai vu que du feu (d’une queue de renard). Mais la fourrure est-ce moins ? Le poil, c’est la nuit — l’antre — les étoiles — la voix qui hurle (pel — appel) — et encore les espaces…

 

Mon tendre… (qui me fait tendre, qui me donne ce grand étonnement : d’être tendre, de tendre les bras…)

 

Source :

http://www.deslettres.fr/category/amour/

 

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