Ce matin, je suis allée rendre visite à ma mère au CHSLD. Il faisait un temps splendide. Bien assise dans un fauteuil roulant, c’est coiffée de son chapeau de plage avec ses grosses lunettes de soleil sur le nez, que nous sommes allées arpenter les jardins qui entourent sa résidence.
À 90 ans, elle s'émerveille encore comme une enfant. Elle voit difficilement lorsque le soleil est ardent. Aussi, en s’approchant tout près des fleurs, je peux lui tendre une tige ou une branche et lui faire découvrir dans sa main les fleurs qui ornent notre parcours. Elle adore respirer leurs parfums et si le soleil vient à se cacher, elle a en prime la chance de les voir. J’ai l’impression de refaire ce que je faisais jadis avec mes enfants alors qu’ils s’éveillaient aux beautés de la nature.
Puis, nous nous attardons devant le plant de tomates qui regorge de fruits, pour la plupart encore verdâtres. Un écriteau indique que les résidents peuvent se servir. Hélas, bien que nous ayons passé plusieurs semaines à les regarder grossir, il semble bien que les plus rouges aient déjà été cueillies.
Nous allions poursuivre notre route lorsque j'aperçus une petite tomate, bien mûre, tombée sur le sol. "Oh, regarde maman ce que j'ai trouvé! "
Je dépose délicatement le fruit dans ses mains et elle l'appuie contre son nez en disant: "Hum, ça sent donc bon ! J'en avais toujours à la maison!"
Elle s’empresse de le cacher avec le bas de son chandail pour être certaine de ne pas le perdre et me demande si je pourrai lui couper en petits morceaux pour son dîner. La tomate qui mesure à peine trois centimètres de diamètre suffit à son bonheur et la voilà comblée par ma trouvaille.
Poursuivant notre balade dans les sentiers, nous croisons une dame d'un certain âge qui se prélasse sur un banc de parc, tout près de son mari. Dans ses mains, des arachides en écales pour offrir à un petit suisse qu'elle a apprivoisé. "Snoro, viens-t'en !" crie-t-elle. Il arrive rapidement, grimpe sur sa jambe, s’installe dans sa main et il se remplit les deux joues d’arachides. Il refait le même manège à quatre reprises sous nos yeux ébahis. Ma mère est folle de joie et du coup, elle retrouve ses 10 ans et moi mes cinq ans. Je regrette de ne pas avoir ma caméra pour saisir ce moment si inattendu.
La dame en profite pour me partager son bonheur de venir visiter son mari quotidiennement et celui de nourrir les petits suisses, en particulier celui qu’elle a baptisé Snoro. Nous échangeons sur l'importance de l'accompagnement et du sentiment qu'il nous procure. Son mari, aussi charmant qu'elle, respire le bonheur. Je quitte en leur disant à quel point je trouve ça touchant de les voir et que je les trouve chanceux de vieillir ensemble. Ils me font un sourire, en même temps, qui vient me signifier qu’ils le savent, visiblement.
Comme pour ajouter de la magie à cette matinée déjà particulière, nous nous arrêtons ensuite devant l’étang aménagé pour y écouter le murmure de la petite chute. Mais pour la première fois, j’aperçois un crapaud majestueux qui se tient juste à côté de l’unique fleur qui s’y trouve. Je m’exclame :
"Wow! Maman, regarde le crapaud sur le nénuphar, près de la belle fleur rose! On dirait qu’il nous regarde !" Mais l’intensité du soleil du midi l’empêche de le voir. Je persiste à lui montrer. Je change de côté, avance et recule le fauteuil, mais en vain. Elle me dit : "Je le vois dans ma tête, c’est presque pareil. En vieillissant, on a pas besoin de tout voir pour savoir." Et sur ses sages paroles, nous mettons un terme à notre visite car l’heure du repas arrive à grands pas.
Tout juste avant d’arriver devant la porte de la résidence, voilà que ma mère me fait un petit signe du doigt :"Penche-toi, j'ai quelque chose à te dire." Elle me chuchote alors, de sa voix à peine perceptible: " Moi aussi, je suis chanceuse comme le Monsieur et je le sais."
Puis, nous sommes entrées à l'intérieur. Elle, tenant son précieux trésor entre ses mains et moi, avec le cœur rempli de gratitude.
À mon retour, j’ai réalisé à quel point ces visites auprès de ma mère me font voir tout ce qu’elle me lègue.
Aujourd’hui, j’ai saisi comment dans ses yeux de simples fleurs peuvent se transformer en un jardin botanique.
J'ai goûté au plaisir d’attendre pour obtenir quelque chose en repensant à la petite tomate qui provient des plants que nous avons vus grandir.
J’ai pu voir ma mère se réjouir, sans même avoir vu le crapaud sur le nénuphar, et réaliser que ma joie faisait la sienne.
J’ai surtout pu constater que le bonheur ne coûte rien et qu’on peut le voir dans les choses les plus simples.
Et j’ai savouré, une fois de plus, un moment privilégié à ses côtés en me nourrissant de tout ce qu’elle a encore à offrir.
Lili (Line Marcoux), 18 août 2015
p.s Ma caméra étant restée dans ma voiture, je suis retournée une heure plus tard pour prendre une photo du crapaud avec sa rose...mais il ne m'avait pas attendue. Je vous laisse l'imaginer...